La plupart des artistes du Moyen-Âge n’avait jamais vu d’éléphant de leur vie, alors ils ignoraient à quoi il ressemblait. Souvent, ils empruntaient des caractéristiques à d’autres animaux, comme des oreilles de chien ou encore des sabots de cheval. Ils laissaient parler leur imagination…
Observe bien les images ci-dessous et trouve la bonne réponse aux questions :
Question n°1 : Des éléphants apparaissent parfois, sculptés dans la pierre, sur les chapiteaux des églises, comme ici à l’église de Vorly. Regarde, les trompes sont attachées avec des cordes. Peux-tu deviner quelles parties de l’éléphant les cordes viennent remplacer ? (Je te donne un indice : elles sont en ivoire)
a) Les oreilles
b) Les défenses
c) Les pattes
Au Moyen-Âge, des scribes recopiaient, à la main, les livres ; c’est pour cela qu’on les appelle « manuscrits ». A l’intérieur de ces textes, on pouvait trouver des images, appelées « miniatures » qui étaient réalisées par des peintres. Ces peintres non plus ne savaient pas très bien représenter l’éléphant…
Question n°2 : Selon toi, à quel animal cet éléphant ressemble-t-il le plus ?
a) Une panthère
b) Un rhinocéros
c) Une chèvre
Question n°3 : Et cet éléphant, à quel animal vivant dans la forêt te fait-il penser ?
a) Une vache
b) Un sanglier
c) Un renard
Question n°4 : Observe les pattes de cet éléphant. De quel autre animal familier l’artiste-a-t-il emprunté les pattes ?
a) Le lion
b) Le canard
c) La chèvre
Questions n°5 : Observe l’image ci-contre. Où se trouve la trompe de l’éléphant ?
a) Sur son ventre
b) Sur son dos
c) Sur son front
Maintenant, vérifie si tu as trouvé les bonnes réponses :
Selon Guillaume Le Clerc de Normandie, trouvère (poète) anglo-normand du XIIIe siècle, l’éléphant est « la plus grosse bête qui existe, celle qui pourrait porter les plus lourds fardeaux » (Bestiaire divin, vers 1220). Rien d’étonnant donc à ce que cet animal ait été utilisé, en Orient, pour la guerre. En effet, Guillaume Le Clerc rapporte que les Indiens et les Perses construisaient, sur le dos des pachydermes, de grosses tours, depuis lesquelles les soldats lançaient des flèches et d’autres projectiles. Elles étaient « faites de bois travaillées à la doloire, et bien munies de créneaux ». Isidore de Séville (560-636) confirme cela dans ses Étymologies.
Au Moyen-Âge, l’éléphant avec une tour sur son dos est un motif très fréquent et qui a le mérite, à l’inverse d’autres images, d’inscrire la bête dans un univers humain et non d’être une simple représentation animalière. La plupart des images montrent un seul et large éléphant portant un château crénelé peuplé de soldats armés. Parmi les représentations occidentales de ce type de sujet, il existe quelques sculptures romanes (XIe-XIIe siècle). On y voit parfois l’éléphant guidé par un conducteur appelé « cornac », portant un fléau et placé au sol ou sur le front de l’animal.
Éléphant avec tour sur le dos, chapiteau, Sainte-Engrace (Pyrénées-Atlantiques), église abbatiale de Sainte-Engrâce, fin XIe-début XIIe s.
Éléphant avec son cornac et une tour sur le dos, chapiteau du chœur, Caen (Calvados), Abbaye-aux-Dames, église de La Trinité, fin XIe – début XIIe s.
L’influence orientale se distingue parfois dans le harnachement des éléphants et dans l’architecture de la tour que porte l’animal.
Dans les manuscrits, les représentations sont plus abondantes encore dans les miniatures. Par exemple, une miniature d’un manuscrit de la Bibliothèque Nationale de France (Ms. Fr. 20125) montre, en Inde, les soldats de Pyrrhus, montés sur des « châteaux » arrimés aux éléphants, qui mettent en déroute l’armée d’Alexandre le Grand. Ce combat est décrit dans beaucoup de sources antiques.
Même si Marco Polo (1254-1324) raconte que de telles batailles d’éléphants ont eu lieu en Orient, ces pachydermes n’ont jamais été utilisés pour la guerre en Europe après l’Antiquité. Dans les bestiaires, ces combats doivent alors être considérés comme une évocation d’un passé lointain pour évoquer la puissance militaire contemporaine.
A noter que ce type d’évocation de l’éléphant peut parfois être tournée en dérision comme dans les marges des manuscrits prévues pour amuser le lecteur et que l’on appelle « drôleries ».
Bibliographie :
DUCHET-SUCHAUX, Gaston et PASTOUREAU, Michel, Le bestiaire médiéval, dictionnaire historique et bibliographique, Paris, Le Léopard d’or, 2002, pp. 64-67.
THIBOUT, Marc, L’éléphant dans la sculpture romane française, Paris, Société Française d’Archéologie, 1947.
Les animaux exotiques sont très prisés au Moyen-Âge : lion, antilope, singe, panthère, hyène, rhinocéros, autruche… et bien sûr l’éléphant que l’on trouve représenté, par exemple, dans l’Arche de Noé.
Or, il n’est pas aisé de figurer un animal exotique que l’on n’a jamais vu. Les seuls éléphants présents en Europe, au Moyen-Âge, sont Aboul Abbas, l’éléphant de Charlemagne (vers 800), celui de la ménagerie de Frédéric II de Hohenstaufen (1212-1250) et celui offert par saint Louis à Henri III d’Angleterre en 1255. Entre le IXe et le XIIIe siècle, aucun éléphant ne vivait sur notre continent. Cela explique les représentations peu réalistes de ces animaux sur les sculptures romanes et dans les manuscrits de cette époque. De plus, de fausse croyances sont nées à ce moment-là sur l’éléphant : le curé Lamprecht, dans l’Alexanderlied (vers 1130) affirme que l’éléphant ne peut pas se relever s’il tombe car il n’a pas d’articulations dans ses pattes. Guillaume le Clerc (vers 1210) dit aussi que ces animaux n’ont pas de moelle, qu’ils sont particulièrement forts et qu’on ne peut les vaincre qu’en les touchant au nombril.
Certaines parties de l’éléphant représentées nous paraissent aujourd’hui bien fantaisistes. La trompe, par exemple, pouvait être représentée de manière plus ou moins originale, selon l’imagination de l’artiste. Elle apparaît tour à tour comme une ventouse, un tuyau, un entonnoir ou encore une trompette.
Jacob van Maerlant, Der Naturen Bloeme, Flandres, vers 1350, Den Haag, KoninklijkeBibliotheek, KA 16, fol. 54.
Livre des simples médecines, France, XVe s., Paris, BnF, Ms. Fr. 623, fol. 165v.
Richard de Fournival, Bestiaire d’amours, Arras, vers 1300, Paris, BnF, Ms. Fr. 25566, fol. 96v.
La trompe peut aussi apparaître sur le front.
Les sculpteurs romans ont parfois allongé la lèvre inférieure de la bouche de l’animal qui ressemble alors à un bec, comme à Aulnay-de-Saintonge, en Charente-Maritime (où l’inscription HI(C) SUNT ELEPHANTES nous fait comprendre qu’il fallait préciser cette espèce inconnue en Occident). Sur d’autres exemples, la trompe peut également sortir de la bouche de l’éléphant à la manière d’une langue (exemple à La Charité-sur-Loire).
Sculpture d’éléphant, La Charité-sur-Loire (Nièvre), église priorale Notre-Dame, XIIe s.
Chapiteau aux éléphants, entrée du collatéral sud, Aulnay-de-Saintonge (Charente-Maritime), église Saint-Pierre, XIIe s.
Quant aux défenses, elles pointent vers le haut comme celles des sangliers et sont en général placées trop haut.
Alors que dans l’église de Vorly, les défenses, mal-interprétées, deviennent des cordes liant les trompes des animaux affrontés.
Pour les oreilles, elles se dressent ou au contraire s’affaissent. Quand elles sont représentées, elles sont soit festonnées, comme sur le manuscrit français 1951 de la BnF, ou ressemblent à celles du cheval ou du chien.
Bestiaire d’amours, Paris, XIIIe – XIVe s, Paris, BnF, Ms. Fr. 1951, fol. 19 : éléphant s’endormant contre un arbre.
Tractatus de Herbis, Italie, Lombardie, vers 1440, Londres, British Library, Sloane 4016, fol. 50 v.
La queue de l’éléphant peut descendre jusque terre, à l’instar de celle du lion. A l’inverse, elle peut être presque invisible ou laineuse pareille à celle d’un mouton. Elle peut aussi être très stylisée, comme à Notre-Dame-la-Grande de Poitiers où elle se termine en fer de lance avec une touffe de poils raides.
Pour les membres, les ongles sont parfois transformés en doigts, en griffes de carnassiers ou en sabots de bovins ou encore d’équidés (ex : Speculum humanae salvationis, Allemagne, 2e moitié du XIVe siècle, Londres, British Library, Arundel 120, fol. 28).
Avec de telles représentations, on se trouve entre la faune réelle et la faune composite, sinon fantastique. Les artistes médiévaux ont fait preuve d’une naïveté attachante qui révèle leur embarras pour représenter un animal qu’ils n’avaient jamais vu et qui leur était parvenu déformé. Alors que les sculpteurs s’inspiraient de représentations plus anciennes, les enlumineurs s’appuyaient sur les textes qu’ils devaient illustrer. Cela explique que l’iconographie de l’éléphant a peu évolué avant la fin du Moyen-Âge, même dans le Livre des Merveilles de Marco Polo qui les décrit pourtant précisément.
Des exceptions sont cependant à noter. En effet, il existe quelques représentations médiévales réalistes, notamment en Angleterre, vers le milieu du XIIIe siècle. On a longtemps pensé que l’arrivée de l’éléphant d’Henri III pouvait expliquer ce fait. Mais, en réalité, certains spécialistes ont réfuté cette thèse : selon eux, certains manuscrits présentant un éléphant gris naturaliste aux proportions correctes, avec des défenses et des pattes normales, étaient antérieurs. C’est le cas pour les Chronica Majora (ouvrage de Matthew Paris) et aussi pour le Bestiaire Harley 3244 de la British Library.
Éléphant de cérémonie. Manuscrit MS Harley 3244 f.39, British Library, Londres.
Chronica Majora, partie II, Parker Library, ms. 16, fol. 151v.
On voit donc, à la lumière des différentes représentations que nous venons d’étudier, que le degré de réalisme dépend non seulement de la connaissance de l’animal (qui arrive grâce aux échanges avec l’Orient), mais avant tout du choix et de la formation de l’artiste…
Bibliographie
DUCHET-SUCHAUX, Gaston et PASTOUREAU, Michel, Le bestiaire médiéval, dictionnaire historique et bibliographique, Paris, Le léopard d’or, 2002, pp. 64-67
THIBOUT, Marc, L’éléphant dans la sculpture romane française, Paris, Société Française d’Archéologie, 1947.
TESNIERE, Marie-Hélène et DELCOURT, Thierry, « La licorne et l’éléphant », Bestiaire du Moyen-Âge : Les animaux dans les manuscrits, Paris, Samogy éditions d’art, 2004.
D’après le dictionnaire Larousse, un bestiaire est un traité, un recueil de représentations, pour la plupart, animales. Il s’agit d’un genre littéraire qui était très répandu au Moyen Âge, mais qui a, en réalité, vu le jour dès l’Antiquité avec l’Historia animalium d’Aristote (384-322 av. J.-C.) ainsi qu’avec les livres VIII et IX de l’Histoire Naturelle de Pline l’Ancien (23-79). Ces deux ouvrages tentaient de décrire et de classifier les différentes espèces animales, bien que Pline l’Ancien ait également relayé par ce biais des récits légendaires et des croyances, parfois encore tenaces aujourd’hui.
Selon toute vraisemblance, nous ne nous attendions pas à rencontrer un si grand nombre d’éléphants dans ces ouvrages ! Pourtant, il semble que ces derniers aient jouit d’une grande fortune au sein de la symbolique médiévale.
Les éléphants, représentations allégoriques d’Adam et Ève et de la relation maritale idéale
Le rapprochement des éléphants avec les personnages d’Adam et Ève vient d’un trait relayé depuis l’Antiquité et qui leur est propre : le peu de désir qu’ils nourrissent pour les relations procréatrices. Les bestiaires relatent qu’ils n’éprouvent aucun désir jusqu’à ce qu’ils se nourrissent de racine de mandragore. Alors, un enfant est conçu. La gestation dure deux ans et cela ne se produit qu’une seule fois. Ainsi, les éléphants n’éprouvent pas de désir avant d’avoir consommé la mandragore ; de la même façon, Adam et Ève n’avaient aucun désir l’un pour l’autre, bien que nus, avant d’avoir mangé le fruit défendu.
Cette relation entre les deux épisodes est parfaitement résumée ici. Sur ce manuscrit de la Bibliothèque Nationale de France, nous pouvons voir dans l’encart de gauche, deux éléphants se trouvant derrière la mandragore. Tandis qu’à droite, le Christ explique à Adam et Ève l’erreur qu’ils viennent de commettre.
Suite à la consommation de la mandragore, la gestation de l’éléphanteau commence. Or, dans le monde symbolique des bestiaires médiévaux, l’éléphant est également lié au dragon. Les images étant intimement liées aux textes les accompagnant, ceux-ci explicitent la nature maléfique du dragon tandis que les vertus de l’éléphant sont énumérées.
Dans son ouvrage sur les bestiaires médiévaux, Debra Hassig (Medieval Bestiaries, Text, Image, Ideology, 1995) suggère que l’expression de la femelle éléphant sur cette deuxième miniature du manuscrit de la Bibliothèque Nationale de France pourrait traduire la peur de voir le dragon s’approcher de son petit, ou bien faire référence à la douleur de la naissance, une des punitions d’Ève après la Chute.
Le face à face entre les éléphants et le dragon est une nouvelle fois visible ici, sur cette illustration d’un manuscrit de la Bodleian Library d’Oxford. Le mâle monte, cette fois, la garde.
Toutefois, ces images peuvent également avoir une autre lecture. Comme nous l’avons vu plus haut, ces animaux étaient représentés pour leur chasteté. De plus, depuis l’Antiquité, il était dit que les éléphants ne changeaient jamais de partenaire et restaient en couple à vie. Selon les bestiaires, ils représentaient donc une image de la relation maritale idéale, symbole du bonheur dont jouissait Adam et Ève avant la Chute, et auquel chaque couple marié doit aspirer. Un bestiaire conservé à la Bibliothèque Apostolique Vaticane (MS Reg. Lat. 258) va même plus loin. Il compare l’attente des éléphants avant de concevoir un enfant à l’attente à laquelle les « gens bons » s’astreignent avant de se marier à « l’âge parfait », contrairement aux fous qui s’y précipitent.
L’éléphant a donc été particulièrement apprécié dans les bestiaires pour ces traits particuliers, le rapprochant des personnages d’Adam et Ève ainsi que des attentes de l’Eglise. Toutefois, un autre exemple nous permet d’aller plus loin.
L’éléphant comme allégorie du Christ
Le Bestiaire Worksop, un ouvrage du XIIe siècle inspiré du Physiologus (dont l’auteur est inconnu) ou des Étymologies d’Isidore de Séville, nous apporte quelques informations supplémentaires sur la connaissance de l’éléphant au Moyen Âge. Selon cet ouvrage, l’animal n’aurait pas d’articulation aux genoux, il leur serait donc impossible de s’asseoir ou de se coucher au sol. Pour dormir, l’éléphant devait donc s’appuyer contre un arbre. Il suffisait alors au chasseur de scier une partie du tronc pour pouvoir capturer l’animal.
C’est de cette légende qu’est née la scène représentée dans le manuscrit de la British Library. L’éléphant placé au centre est tombé de son arbre. Ses congénères l’entourent mais aucun ne parvient à le relever. Seul un plus petit éléphant réussit l’exploit.
Cette image est, en réalité, une allégorie. Les éléphants, dont celui qui se trouve au sol, représenteraient les apôtres. L’arbre coupé ferait référence à une chute spirituelle. Et le petit éléphant bleu serait le Christ, humble, mais dont la foi est forte.
Par ailleurs, de nombreuses images montrent un combat entre l’éléphant et le dragon ou serpent. Ces deux derniers sont souvent assimilés puisque le mot latin « draco » signifie à la fois serpent et dragon.
Ce dernier est présent sur la quasi totalité des images représentant le pachyderme. En effet, ces deux animaux forment une paire ennemie dans les bestiaires. Ils représentent la lutte du bien contre le mal, du Christ contre le Diable.
Il est stipulé dans les bestiaires que le dragon peut étouffer ses victimes, dont la plus puissante est l’éléphant. Néanmoins, les textes précisent que ce dernier se vengera en écrasant son assaillant dans sa chute.
L’éléphant a donc une place privilégiée dans les bestiaires de par sa symbolique unique dans le monde médiéval. Symbole de chasteté, de fidélité et de foi chrétienne, il sert à la fois d’allégorie d’Adam et Ève, ainsi que de leur bonheur perdu que tous les couples mariés se doivent de retrouver ; et d’allégorie du Christ dans son rôle de sauveur et de vainqueur du mal. Toutes ces symboliques, issues de fables héritées de l’Antiquité, nous permettent de comprendre pourquoi un animal si rare en Occident au Moyen Âge, est si souvent représenté dans les bestiaires, et ce, pour remplir un rôle de bienveillance et de protection.
Toutefois, bien que s’inscrivant dans les mêmes symboliques de lutte contre le bien et le mal, certaines représentations de l’éléphant sont plus belliqueuses.
L’éléphant combattant
En effet, la représentation la plus fréquente de l’éléphant dans les bestiaires médiévaux montre ce dernier, combattant, et portant une tour habitée de soldats sur son dos. Cette image provient des légendes véhiculées depuis l’Antiquité. Elle vient, d’une part, de l’histoire de la bataille d’Hydaspe, qui opposa Alexandre le Grand à l’armée d’éléphants du roi indien Porus, en 326 av. J.-C.. D’autre part, du passage du Livre des Macchabées issu de l’Ancien Testament, qui relate la révolte des juifs de Judée contre l’empire Séleucide (empire s’étendant de l’Anatolie jusqu’à l’Inde, de 305 à 64 av. J.-C.).
Ces épisodes sont parfois représentés, nous le verrons plus tard. Toutefois, l’actualisation des armures et des armements, ainsi que quelques détails dans l’architecture des tours se trouvant sur le dos des éléphants, laissent penser aux spécialistes que ces images pourraient faire référence aux combats contemporains des Templiers et des Croisades.
Sur cette illustration d’un manuscrit de la British Library nous pouvons observer des éléments d’armements contemporains, notamment une arbalète. Egalement, le personnage se trouvant à l’avant de la tour ainsi que celui debout au pied de cette dernière portent des croix rouges sur leurs vêtements ou bouclier. Cet élément fait clairement référence aux Croisades puisque c’est au Concile de Clermont (1095) que le pape Urbain II intima aux croisés de placer ce symbole sur leurs armures.
L’éléphant est ici un motif repris de l’Antiquité, un symbole de la puissance militaire, repris pour illustrer des combats contemporains. De plus, le parallèle entre les Macchabées, qui se sont rebellés pour défendre leur terre et leur croyance, et les Templiers a été fait dès le XIIe siècle. Cette attitude belliqueuse de l’éléphant rejoint en réalité une autre symbolique mise en lumière plus haut dans le combat de ce dernier contre le dragon. Il représente ici l’allégorie du bien qui combat le mal.
REBOLD BENTON, Janetta, Bestiaire médiéval : les animaux dans l’art du Moyen âge, exposition à Abbeville, New-York, Paris, Londres. Paris, éditions Abbeville, 1992.
VOISENET, Jacques, Bestiaire chrétien – L’imagerie animale des auteurs du Haut Moyen Âge (Ve – XIe siècle), Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1994.
Pour les manuscrits :
De la Bibliothèque Nationale de France : manuscrit MS fr. 14969 f. 59. Bestiaire de Guillaume le Clerc.
De la Bodleian Library : manuscrit MS Laud Misc 247 f. 163v. de la naissance de l’éléphanteau entre ses parents, et face au dragon.
De la British Library de Londres : manuscrit MS Royal 12.F.XIII f.11v. de la chute de l’éléphant. Le manuscrit MS Harley 4751 f.58v. du combat entre l’éléphant et le dragon et de l’éléphant de guerre.
L’arrivée de l’éléphant Aboul Abbas à Aix-la-Chapelle
Parallèlement aux représentations de scènes bibliques ou inspirées de la faune occidentale, l’art du Moyen Âge se plaisait également à représenter des animaux venus de contrées fort éloignées, voire même des animaux imaginaires. L’éléphant est un parfait exemple de ce goût pour les iconographies exotiques.
Malgré le fait que ces animaux étaient rares, des carnets de croquis ou des traités d’histoire naturelle pouvaient permettre aux artistes de les reproduire. Toutefois c’est la venue réelle de ces animaux merveilleux qui fut la plus frappante pour leurs contemporains.
Dès 248 l’empereur romain Marcus Julius Philippus, dit Philippe l’Arabe (204-244-249), avait amené à Rome divers animaux venus d’Orient ou d’Afrique, tels que des éléphants, des tigres, des léopards, des hippopotames ou des girafes.
Toutefois, c’est la venue d’Aboul Abbas, l’éléphant blanc offert par le calife de Bagdad Haroun al-Rachid à Charlemagne, en commémoration de son couronnement en tant qu’empereur, qui fut la plus marquante.
L’éléphant arriva à Aix-la-Chapelle le 1er juillet 802, et bien qu’il soit mort d’une pneumonie quelques années plus tard, en 810, son passage à la cour fut extrêmement remarqué et eut une incidence sur la création artistique. Par exemple, cette page de manuscrit conservée à la Bibliothèque Nationale de France présente une lettrine ornée d’une tête d’éléphant. Son réalisme laisse penser aux spécialistes qu’il pourrait s’agir d’un « portrait » de l’éléphant de Charlemagne, Aboul Abbas, ou que l’artiste aurait pu s’inspirer de ce dernier.
L’éléphant, un animal historiquement associé à la figure de l’Empereur
Le tissu du tombeau de Charlemagne
Par la suite, divers objets représentant des éléphants furent attribués à Charlemagne et associés à ce cadeau du calife Haroun al-Rachid.
C’est le cas, par exemple du Tissu aux éléphants, découvert dans la châsse contenant les ossements de l’Empereur. Cette étoffe de soie présente des éléphants jaunes sur un fond de pourpre. Ces animaux sont séparés par des médaillons et harnachés de motifs de couleur bleue. Tout autour d’eux, des rinceaux et des fleurs se déploient. Une inscription en grecque, traduite par Charles Diehl, nous fournit des éléments supplémentaires. Elle fait mention du « primicier kitonite et idikos » Michel. L’idikos est le haut fonctionnaire qui dirigeait les ateliers impériaux. Ces derniers fabriquaient, entre autre, des tissus qui étaient à l’usage exclusif de la cour de l’Empereur. L’inscription nous donne également le nom de Pierre, « archonte de l’atelier impérial du Zeuxippe ». Aussi, comme l’explique Camille Enlart dans son article Un tissu persan du Xe siècle découvert à Saint-Josse (Pas-de-Calais) en 1920, Michel pourrait avoir servi sous Nicéphore II Phocas, empereur byzantin de 963 à 969, en tant que supérieur des chambellans.
Cette étoffe serait donc byzantine et daterait du Xe siècle. Dans ce cas, comment est-elle arrivée dans la châsse contenant les ossements de Charlemagne ? Nous pouvons supposer, comme l’écrivent Charles Diehl et Camille Enlart, que l’étoffe fut placée auprès des restes de Charlemagne lorsque l’empereur du Saint-Empire Othon III (996-1002) ouvrit sa tombe aux alentours de l’An Mil.
Le jeu d’échec dit de Charlemagne
D’autres objets représentant des éléphants furent associés à l’Empereur Charlemagne après la mort de ce dernier. Un jeu d’échecs, préservé dans le trésor de Saint-Denis jusqu’à la Révolution et aujourd’hui conservé au Cabinet des Médailles de Paris, a également été associé aux présents offerts par le calife Haroun al-Rachid à Charlemagne.
Ce jeu ne conserve plus aujourd’hui que 16 pièces : deux rois, deux dames, trois quadriges (qui sont les ancêtres des tours), quatre cavaliers, un fantassin ainsi que quatre éléphants qui deviendront les fous.
Le jeu d’échec serait né dans les Indes sous le nom de Tchaturanga, le jeu « des quatre rois » et se serait diffusé dans tout le monde oriental antique. C’est ensuite l’expansion de l’Islam qui permis à ce jeu de s’étendre de l’Iran jusqu’à l’Occident aux alentours de l’An Mil par le biais des échanges avec l’Espagne, l’Italie mais aussi avec les pays Scandinave. Les fouilles archéologiques attestent de la diffusion de ce jeu au sein de la noblesse occidentale et montrent une évolution de ce dernier.
Lors de la diffusion du jeu d’échec par les royaumes d’Islam, les pièces étaient encore non figurées, afin de suivre les préceptes du Coran. Toutefois, au XIe siècle, commencent à apparaître des pièces figurées, parfois en ivoire et de plus grande taille. Une autre réalité vient se greffer à celle du jeu : ces pièces sont des objets d’apparat prestigieux destinés à être offerts ou à être conservés dans un trésor.
Les pièces du jeu de Charlemagne sont de ce type. Les éléphants mesurent environ 11 cm sur 8 cm et sont taillés dans de l’ivoire. Aussi, les différentes pièces présentent des traces de dorure ou de peinture rouge. Elles étaient donc plus vraisemblablement destinées à être conservées dans un trésor et n’étaient pas adaptées au jeu.
Néanmoins, Charlemagne n’a pu connaître ce jeu puisque celui-ci n’a été apporté en Occident qu’au Xe siècle et que les pièces figurées n’apparaissent qu’au cours du XIe siècle. En effet, ces pièces datent de la fin du XIe siècle et proviendrait d’un atelier occidental, certainement de la ville de Salerne en Italie, connue pour ses ateliers de sculpture en ivoire.
Nous ignorons quel personnage a pu commander ou ramener ces pièces dans le trésor de Saint-Denis. Les spécialistes pensent à un achat de Philippe Auguste, dont la présence est attestée à Salerne en 1190, lors du départ pour la croisade. Ou à une donation due à l’abbé Suger, en pèlerinage vers le Mont Cassin aux alentours de 1123.
Ces pièces d’échec n’appartenaient donc pas à Charlemagne, mais elles lui ont été attribuées en mémoire de l’éléphant qui lui avait été offert en 802. Elles ont intégré le trésor de l’abbaye de Saint-Denis au XIIIe siècle. Selon les inventaires, seulement 23 pièces étaient conservées en 1598 et 16 lors des confiscations révolutionnaires. Aussi, un autre élément est à noter. L’observation de ces pièces, et notamment des traces de polychromie, des stries et des socles, montre que ce jeu conserverait des éléments de 2 à 3 ensembles différents.
Néanmoins, ce jeu « de Charlemagne » constitue un des seuls indices encore visible de la diffusion et du succès de ce jeu, ainsi que de la figure de l’éléphant dans l’Occident médiéval.
Bibliographie et webographie
DIEHL, Charles, Manuel d’art byzantin, Paris, Librairie Alphonse Picard et Fils, 1910, chapitre VIII, p.600 et suivantes.
ENLART, Camille, « Un tissu persan du Xe siècle découvert à Saint-Josse (Pas-de-Calais) » dans Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot, tome 24, fascicule 1-2, 1920, p. 129-148.
Le trésor de Saint-Denis, Musée du Louvre et Bibliothèque Nationale, exposition du 12 mars au 17 juin 1991, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1991.
MELY, Fernand, « Le tombeau de Charlemagne à Aix-la-Chapelle » dans Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 59e année, N.5, 1915, p.342-362.
PASTOUREAU, Michel, L’échiquier de Charlemagne : un jeu pour ne pas jouer, Paris, A. Biro, 1990.
PASTOUREAU, Michel, Pièces d’échecs, Bibliothèque Nationale, Cabinet des médailles et antiques, exposition du 7 juin au 30 septembre 1990, Paris, Bibliothèque Nationale, 1989.
REBOLD BENTON, Janetta, Bestiaire médiéval : les animaux dans l’art du Moyen âge, exposition à Abbeville, New-York, Paris, Londres. Paris, éditions Abbeville, 1992.
Exposition virtuelle sur les Trésors Carolingiens de la Bibliothèque Nationale de France.